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Un demi-siècle dans la vallée du Derbous. Entretien avec une habitante de la vallée

La synthèse qui suit est liée à un entretien mené avec une interlocutrice implantée dans le Derbous depuis sa naissance. Elle y vit à l’année, dans une vieille maison héritée de ses ancêtres. Elle nous livre ici des réflexions sur ce qui a changé dans dans la vallée depuis un demi-siècle environ.

Réchauffement climatique et changement social

Indéniablement, bien des choses se sont passées. D’abord, les évènements liés aux saisons ont changé. Dans le passé, il y avait ainsi des évènements récurrents : des orages en mai, de la pluie à la Sainte Madeleine, en juillet, des orages pour la Saint Laurent, en août. Les hivers commençaient plus tôt. Il y avait ainsi, à Plaisians, des gelées blanches en octobre.

Par contraste, cette année 2020, il a gelé en décembre, en janvier, en avril, mais peu. En revanche, les printemps sont devenus beaucoup plus chauds, dès mars et il y a une tendance à la disparition des inter-saisons. Cela a impacté les cultures.

D’abord, quand les nuits sont chaudes, il y a moins de rosée. Ensuite, le système d’irrigation a beaucoup changé. Auparavant, il y avait un système d’irrigation sophistiqué, par gravité, avec un réseau de canaux où chaque paysan pouvait prélever, à certains moments, de l’eau : une gestion commune de la ressource.

Maintenant, on privilégie le goutte à goutte, en pompant dans les rivières, sur une base individuelle. Le nombre de cultivateurs a lourdement chuté depuis la seconde guerre mondiale et les propriétés se sont étendues et comme industrialisées. Pour autant le nombre d’habitants n’a pas diminué dans la vallée ; les habitants travaillent en ville, parfois très loin (après tout, avec le TGV, on peut être rapidement à Marseille et même à Paris). Certains font aussi du télétravail. Internet a beaucoup changé la situation. Si on n’a pas encore la fibre dans les habitations (pourtant elle a été installée le long des routes il y a quelques années), la connectivité 4G a progressé et les débits sont acceptables.

Par ailleurs, la circulation automobile a explosé : sur la route du col de Fontaube, on avait au plus deux voitures par jour et quelques rares camions de marchandise. Maintenant, on a des passages fréquents liés au développement du tourisme et à celui de la consommation.

Pour les habitants, posséder un véhicule automobile n’est pas une option : il le faut ne serait-ce que pour aller faire des courses alimentaires et aussi pour les soins médicaux (les médecins ne se déplacent plus) ou pour tout autre besoin lié à la santé (analyses, examens, soins dentaires, hôpitaux…). Le prochain bourg doté de magasins et de services à la personne (Buis les Baronnies) n’est pas commodément accessible à pied. Il n’y a d’ailleurs plus de laboratoire d’analyse médicale depuis quelques années.

On remarque un accroissement du nombre de touristes, comme le montre l’extension des gîtes ruraux et des chambres d’hôte, ainsi qu’un nombre croissant de vélos électriques, qui permettent maintenant à davantage de personnes d’accéder à des endroits autrefois isolés, ce qui n’est pas sans effet sur la nature.

Des changements notables dans la flore et la faune

Beaucoup de changements sont intervenus. Par exemple, si les oliviers restent bien implantés, on ne trouve pratiquement plus de vignes, autrefois abondantes. Elles ont été remplacées par des arbres fruitiers : cerisiers, abricotiers, pêchers…

S’agissant de faune, il n’y a presque plus de truites dans les cours d’eau. Autrefois, il y avait des truites communes, endémiques à la région. Des truites arc en ciel ont été introduites dans le passé, qui les ont contrariées et qui se reproduisent mal. La population a singulièrement diminué. On ne trouve plus d’écrevisses dans les rivières. Les lièvres et les perdrix ont pratiquement disparu, ce qui peut être lié à la prolifération des sangliers qui dévastent les cultures et détruisent les nids, voire les terriers.

En revanche, les castors ont pris beaucoup d’extension depuis les années 1980 . Ils font des trous dans les berges des cours d’eau et créent des marais (cf. article récent). On trouve aussi des rats d’eau, de la salamandre commune, voire des créatures comme le seps strié (Chalcides striatus), petit saurien ressemblant à un serpent avec des embryons de pattes avant.

Les loups, aussi, sont progressivement réapparus dans la région et on note également la présence d’oiseaux qu’on ne voyait pas avant, tels les « guêpiers », peut-être parce qu’ils sont réputés manger les guêpes,

Un ensemble sophistiqué de règlements et un avenir incertain

D’après notre interlocutrice, un changement important est celui de l’inflation de règlements. Si, dans le passé, on était devant une économie de subsistance avec des biens communs collectivement gérés par des personnes ancrées dans le terroir, qui se sentaient responsables du maintien du milieu, désormais, la plupart des initiatives sont encadrées par des règlements en tout genre, issus de différentes administrations (en particulier l’Europe), qui visent à encadrer strictement toutes les activités liées à la gestion du cadre de vie, sans pour autant réussir à assurer sa pérennité.

La vallée du Derbous au temps du confinement

Mars 2020

Il est peu de dire que la vallée du Derbous est isolée.  C’est un lieu paisible hormis pendant les périodes de vacances qui attirent nombre de touristes. l n’y a pas de grande agglomération proche, la densité de population est faible. Cependant, cette qualité de vie exceptionnelle se mérite notamment par l’obligation pratique de prendre la voiture pour aller faire des courses ou aller consulter un médecin.

L’urgence sanitaire ordonnant le confinement des populations a eu des effets différents de ce qu’ils peuvent être en ville où les familles ont peu d’espace.

D’un côté, c’est le bon côté si l’on peut dire, il est facile de sortir de sa maison sans enfreindre les règlements, de flâner (ou plus souvent de travailler) pour entretenir le terrain et cela est bon pour réguler la tension artérielle, faire baisser le stress. Par ailleurs, au moins jusqu’à l’arrivée récente de personnes fuyant les grandes villes, il n’y avait pas du tout de virus (du moins en apparence, car on ne peut jamais être certains).

Mais il y a aussi une face sombre. Pour faire ses courses on est bien obligés d’aller à Buis les Baronnies, où fonctionnent deux supermarchés, où se tient un marché deux fois par semaine et où on peut acheter du carburant. Les autres magasins, sauf bien sûr la pharmacie et le tabac-presse sont fermés.

Là comme ailleurs, l’approvisionnement dépend de la continuité. Durant quelques jours, certains produits ont disparu assez vite des rayons comme la farine, le lait ou les pâtes… 

Il y a pire : que faire si on tombe malade ? C’est déjà assez galère quand les conditions sanitaires sont sans histoire. Mais maintenant ? Le premier hôpital est bien à une trentaine de kilomètres, voire davantage s’il y a besoin d’un plateau technique très spécialisé.

L’inquiétude est donc du même ordre dans la vallée qu’ailleurs ; on suit les informations à la radio et à la télévision, on prend des nouvelles des enfants et des parents qui habitent en ville. Si Internet fonctionne, on regarde ce qui s’échange sur les réseaux et on y participe.

Là comme ailleurs, l’étranger est parfois regardé de travers ; ce n’est pas propre au coronavirus, d’ailleurs, mais il est certain que la situation sanitaire a des effets négatifs.

La crise du coronavirus est venue après un hiver particulièrement pluvieux : le Derbous n’a pas manqué d’eau ; il a même débordé de son cours habituel et généré des dégâts sur les rives. Ces dégâts, sans rapport avec la pandémie, ont quand même déstabilisé une population vieillissante. 

En somme, ce n’est sans doute pas pire qu’ailleurs, mais rien de réjouissant. Maintenant, évidemment, il reste à espérer…

Images du Derbous

derbous castors1
L'oeuvre des castors
« de 7 »

Voici des photos de la vallée ; il s’agit d’un diaporama